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    La buse et le chapon

    Le faible bien souvent vit son meilleur augure
    A se fondre au giron de la foule qui rassure.
    L’asile qu’il y convoite est pourtant bien fragile
    S’il advient qu’un instant, le hasard s’y faufile !

    Un troupeau de chapons, déjà dodus à souhait
    D’une douce prairie, l’herbe tendre, grattait.
    Une buse affamée, par un festin tenté
    Au dessus des poulets se mit à tournoyer !

    La panique rompit les rangs des emplumés,
    Transforma l'air du pré en houle déchainée
    Fuyant, en caquetant, le bec tant acéré
    Qui sous un gros buisson, qui au creux d'un fossé !

    Ne resta plus qu’un malheureux ventru
    Empêtré de sa peur dans son gras superflu
    S’essayant à voler, malhabile et têtu
    Qui, gênant la ruée, se fit marcher dessus…

    La buse, tout enchantée d’être ainsi à la fête
    Fondit à cette proie, cul par-dessus sa tête,
    Fit voler tant de plumes qu’on eût pu faire couette,
    Décidée à goûter la chair jusqu’au squelette.

    Mais la buse est ainsi, qu’elle semble réclamer
    L’hommage d’un public avant de consommer.
    Ainsi fit celle-ci, Horus, torse bombé,
    Rêvant que sa victoire fût immortalisée !

    Il n’en fallut pas plus au piteux volatile
    Retrouvant un soupçon d’une audace subtile
    Pour profiter soudain de la morgue futile
    Et se carapater loin de la serre hostile !

    Comment il réussit, claudiquant des ergots
    A s'enfuir au retour du grand rapace idiot ?
    La chance, sans doute, qui fait que cet oiseau
    Si léger dans les airs, au sol, n’est qu’un lourdaud.

    Lors, l’évadé parvint à l’abri convoité
    Au sein d’une broussaille touffue dont l’accès
    S’il permettait encore le passage du poulet
    Laissait dehors, rageur, le chasseur dépouillé.

    Immobile et tapie, la volaille attendit
    Que la buse, lassée, ravalât son dépit.
    Comme hier, le renard qu’une cigogne avait pris,
    Elle dut , sans croquer, retourner à son nid !

    L’histoire,ainsi troussée, pouvait s’arrêter là !
    Le héros déplumé, survivant du combat,
    Fêté par sa tribu s’en revenant des bois
    Rebouffant son plumage au milieu des Hourras.

    Boitillant, aile tombante et crête arrachée
    La piètre créature fut bientôt entourée
    D’un cercle silencieux de pilons alignés
    Dont s’éleva, soudain, un murmure indigné !

    Un regain de courage , il y a peu, oublié
    Hérissa de dédain la nouvelle assemblée !
    Un cochet, plus hargneux, s’approcha du blessé
    Lança un coup de bec avant de reculer.

    La curée qui suivit ne fut que frénésie
    De gloussements furieux de justiciers hardis
    Déblayant les abords de leur beau paradis                                                                                                  D'un déchet dont l’aspect nuisait à l’harmonie.

    Ainsi fut-il dit. Faudrait-il que l’on pense
    Qu’un tout autre motif motivait la sentence ? :
    La bêtise d’une foule et sa vile jouissance
    Dans l’opportunité de prouver sa puissance ?

                                                                                                                            

    Où se rejouent les scènes d'un tel acabit :
    Si l’échine est ployée au tyran qu’on subit
    Malheur au diminué qui en brandit le prix !

    Encore ne vit-on là, qu’un improbable héros
    Victime hasardeuse prise au milieu du lot
    Au destin différent de celui du troupeau
    Car privé de l'honneur de finir poule au pot.

    Very Happy


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  • La guêpe et l'abeille

    Au tout premier rayon d’un soleil balbutiant
    Une abeille zélée taquinait le printemps
    Le thym, le serpolet, la blanche marjolaine
    Tout lui était douceur, rien ne lui faisait peine.

    Mais s’approche, en vibrant une guêpe curieuse :
    « Cousine, je vous prie, en bête laborieuse
    Aux questions que je dis, si vous voulez me plaire
    Donnez m'en votre avis, j'ai besoin de lumières :

    En voyant dans nos traits si peu de différence
    Dites-moi pourquoi l’homme a choisi d’évidence,
    Même s'il est coutumier de peu de clairvoyance,
    De vous faire l’octroi d’une telle préférence ?
    Mes couleurs émerveillent
    Mon noir est rehaussé d'un jaune qui l'ensoleille,
    Et pour être précis, votre habit
    Qui peluche est beaucoup moins joli
    Comme vous, fruits et fleurs
    Me comblent de bonheur.

    Je pique, c’est certain, mais vous piquez aussi
    Si vous fuyez l’humain, moi je le divertis
    Je sillonne en tous sens cuisines et salons,
    Du privé aux communs, j’investis tous les lieux.
    Je charme les oreilles au son de mon bourdon,
    Et malgré tout cela, on vous aime bien mieux.

    On me chasse, on me hait, on m’assassine enfin!
    Tandis qu’on vous cajole et vous bâtit maison
    Où pendant le grand froid, la cruelle saison
    On dispense tiédeur à vos rêves sereins. »

    A l’envieux discours qui, enfin, fit relâche
    L’abeille répondit , ne rompant pas sa tâche :
    « Ma couleur et mon chant pour vous ont moins d’attraits,
    Ils esquissent dans l’air un chemin bien discret,
    Mon aiguillon ne sert que d’ultime rempart :
    Son usage me cause une fatale blessure
    Si je blesse, je meurs en me servant d’un dard
    Qui n’est qu'ultime armure.
    Au langage entêtant sans grande profondeur,
    Je préfère de loin le langage des fleurs.
    Si l’homme, plus qu’à vous, me rend un tel hommage
    Et m’offre le confort, qui parfait mon ouvrage,
    C’est que j’importune moins en servant davantage
    Et de l’échange utile on fait naître partage.


    Vous pourriez, ma cousine et n’y point voir ombrage
    Butiner la leçon, en goûter le message.
    Ni le bruit, ni l'éclat ne sont droits de péage
    Au calme des prairies qui voient grandir les sages".


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  • Ou la con-plainte des amants maux-dits


    Couplet lyrique :

    Un lion généreux et une musaraigne,
    En un étrange lieu, une contrée lointaine,
    Perdus en leur pensée, au détour d’un chemin
    Verdoyant d’herbe douce étoilée de jasmin,
    Truffe contre truffe se trouvèrent collés.

    Un moment stupéfaits, un moment effrayés,
    Ils finirent tous deux par en être charmés.
    Et de cette magie, naquit grande Amitié :
    La petite était vive et il était gentil,
    Une même lumière éclairait leur esprit.
    Ils se parlaient de tout, se comprenaient d’emblée
    Quand l’un pensait un mot, l’autre l’avait trouvé.
    De cette connivence, cette complicité
    S’exhalait chaque jour la seule vérité.
    L’on vit en rire ensemble et chanter de concert
    Deux sources cascadant vers la même rivière.
    Leur temps était précieux autant qu'il était rare
    Ils se devaient chacun à un monde barbare
    Qui réclamait sans cesse de nouveaux égards.
    Bravant les inédits pour vivre le miracle
    Ils volèrent pourtant , ignorant les obstacles,
    Au noir d'un ciel obscur des diamants d'éphèmère
    Pour insuffler l'envie au tain de l'ordinaire
    Et leur vie, en ces lieux, ne fut qu'escale pure,
    Au fleuve éclaboussé d'étincelles divines
    Tels les éclats de gloire au phare qui rassure,
    Révérence d'étoile quand la vague s'incline.


    Couplet tragique :

    Mais leurs geôliers tenaient à leurs victimes :
    On leur appartenait, on était unanime
    Chacun à son seigneur devait payer sa dîme
    Et on interdisait les échappées sublimes.
    Et le Lion frémissait de l’incompréhension
    La musaraigne aussi tremblait sa frustration
    Les maitres égoïstes n’offraient que leur giron
    En refoulant tout net les désirs d’évasion.
    Les deux amants pourtant n’exigeaient qu’un soupir
    Respiration vitale en dehors de l’empire
    Pour y survivre mieux, pour mieux y revenir
    Juste un peu de meilleur pour supporter le pire,
    A l’autre bouche enfin simplement se nourrir
    Pour garder la raison, ne vouloir plus mourir.
    Mais l’espoir insensé simplement réclamé
    Jamais malgré les larmes ne leur fut accordé
    Et l’on vit s’étioler, de se voir séparées
    Deux âmes déchirées, au devoir crucifiées.
    Car le désert jaloux de sa propriété
    Tarit sa seule source en voulant la garder.
    Ils étaient des gentils au milieu de méchants
    Des enfants maltraités par d'horribles parents...


    Epilogue :

    C'est du moins ainsi que les deux se voyaient
    Victimes innocentes d'un odieux martyre.
    Leur amitié maudite comme il la sublimait
    Le romantisme aidant, ils oubliaient d'en rire !
    Qui céda le premier au joug de l'ordinaire?
    L'ordinaire serait d'en exiger le compte
    Ils frolèrent pourtant la rancoeur usurière
    Avant de refuser le salaire de la honte.
    Il resta au désert un palais sur du sable
    Quand survint sans hasard la fin des certitudes
    Il se dirent au revoir en restant honorables
    Reléguant l'exception au rang de l'habitude.

    Ce n'était rien qu'un Lion et une Musaraigne
    Qui s'étaient crus héros d'une histoire inédite
    Mais déclinèrent le don de la Mort Magicienne
    Unique enlumineuse des amours maudites !

    Essai de morale

    Et puis franchement, une Musaraigne et un Lion?
    Qu'eut-on fait des marmots issus de cette union ?
    La morale imposée absout les abandons
    Ne grave les regrets qu'aux tombes d'illusions.


    P.S. ... :
    Celle-là, sans rire, elle doit avoir vingt fins différentes! Un ami parlerait de "géométrie variable"...                  
    Allez! une version parmi d'autres qui a l'avantage de ne plus se prendre trop au sérieux!


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  • Le Papillon et le Reptile

    Un jeune papillon, aérien et gracile
    Aux nuances nacrées, aux volutes subtiles
    Ayant de la prairie épuisé les aubaines
    S’en vint et d’un jardin caressa les pollens.
    Avide d'en goûter les fragrances légères
    De lamper ça et là des sucres parfumés,
    Aux pétales odorants d’une rose trémière,
    L’insecte aux ailes d’or, heureux vint se poser.

    Mais d’un buisson voisin, griffu et rabougri
    Une voix chuinta , comme du fond d’un puits :
    « A quoi pensait Jupin, lorsque sa main féconde
    Créa les papillons si chétifs et si vains
    Qui voltigent dans les airs et pillent les jardins ?
    De quelle utilité, cette race est-elle au monde ?
    Et qu’est donc ce pouvoir, cet impudent bonheur
    De promener ainsi, futile, de fleur en fleur,
    Un ballet importun en volant au grand jour ? »
    Après le papillon, des oiseaux vint le tour.
    Du noir de son réduit, la bête scélérate
    A chaque être volant donnait un coup de patte.

    Le papillon curieux d’une telle pestilence
    Observa ce buisson qui distillait le fiel
    D’une censure haineuse, acide violence
    Et aperçut enfin un animal sans ailes :
    Créature rampante dans un triste repaire
    Se cachant aux épines et crachant au destin,
    Pitoyable reptile, mi-scorpion, mi-vipère
    Trempant au jus insane de son propre venin.

    Le papillon léger regarda le serpent
    Et de le voir ainsi se sentit plus vivant
    « Votre hargne ne voile qu’ amère vérité :
    Il arrive qu’on m’aime et qu’on me laisse aimer,
    Et je vole pour le dire en toute liberté.
    Ces ailes que par dépit vous aimeriez salir
    Sont tout ce qui vous manque et nourrit vos délires.
    Vous êtes sale et seul et ne pouvez voler.

    Je vous laisse, serpent, à cette frustration :
    Plus on mérite mépris, plus on en fait le don »
    Faites-en donc l’usage miséricordieux
    Qui vous offre survie dans le déni des dieux.


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