• Haillons d'écriture

    Je mettrais là mes essais d'écriture à revoir, à achever, à jeter...

  • Je fais du ménage...........

    J'ai retrouvé ça :

     
    Je m’arrêtai au bord du précipice et me concentrai.
    J’avais aussi rêvé ce moment là.
    Où s’arrêterait le rêve déjà vécu ?
    Pourquoi ne pouvais-je pas savoir avant de le rêver que je l’avais déjà rêvé?
    Pourquoi devais-je lire chaque mot de chaque page avant d’avoir la certitude que je l’avais déjà lue ?.
    Pourquoi n’y avait-il pas eu, dans la neige, pour me guider, me rassurer, l’empreinte de mes pas mille fois imprimée. Comme une mémoire glacée, certes, mais une mémoire tangible ?

    Je me retournai. Les empreintes du rêve présent avaient déjà disparu…
    Mon rêve était en équilibre : Plus de passé déjà (d’où venais-je?) et pas encore d’avenir…
    J’eus envie de pleurer.
    Je souris. Ca aussi… je savais.

    Tantale d’un temps suspendu , je n’avais même pas la chance de voir ce dont je serais éternellement assoiffée.
    Devais-je m’arrêter ? Renoncer ?
    L’avais-je déjà fait ? Tomber à genoux, là ?
    Et ?...
    Et quoi ?
    A mes pieds, le fond du précipice était invisible. C’eût été trop simple, j’aurais eu le choix : Avoir envie ou pas.
    Une couverture d’ouate brumeuse remplissait le vide.
    Seul, ne palpitait que l'exigence du choix.
    Sauter à la page suivante pour savoir ? Et s’apercevoir, lassée, que je savais déjà.
    Marquer la page? Sachant que je devrais relire le début pour la retrouver?

    La couverture d’ouate montait à ma rencontre. Me faisais-je trop attendre ?

    Alors,........... ON attendrait…


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  • L’araignée de Noël

    Quand j’ai installé le sapin, début décembre, j’ai  remonté l’antique carton tout rapiécé de scotch de déménageur, qui  contient toutes les sentimentales petites merveilles qui clignotent et tintinabulent.

    Bref, le carton dort toute l’année bien gentiment dans un coin de la remise du sous-sol. Et chaque année, en le remontant, je me dis : « Mince, faudrait quand même que je le change ce carton ! ».
    Mais, j’oublie et tandis que j’habille le joli sapin en trois morceaux, tout content de se dérouiller les branches articulées, Vieux Carton redevient malle à trésors anciens et plus question de le priver de sa mission de Gardien Eternel, passé, présent, à venir !

    Donc, je le vide tranquilloutement, de ses boites, replongeant très volontiers et sans vergogne dans l’aura magique qui, immanquablement, chaque année, s’en dégage !
    En soulevant la dernière boîte, un mouvement rapide et gracieux, attire mon attention : « Un elfe ? ». Je souris. Ca me paraitrait presque normal, là.

    Mais non ! Au milieu du carton vide et arrêtée dans son mouvement de fuite, ben, y a une jolie petite araignée. Et comme elle s’est immobilisée sur un filament échappé sûrement d’une guirlande fatiguée, j’ai l’impression qu’elle me met au défi de lui piquer encore celui-ci ! Et qu’elle est prête à le défendre jusqu’à la mort ! Ben quoi ? C’est Noël, non ?

    Alors, je me rends… j’admets sa victoire. Lui laisse son bout de guirlande et refermant le carton vide, le remise dans un coin de mon bureau jusqu’à un autre demain, déshabilleur de mon beau sapin, roi des forêts.

    C’était ce matin !
    Et c’est en récupérant mon carton et en remarquant le même mouvement gracieux et rapide à l’ouverture  que je me la suis rappelée, la petite araignée !
    N’empêche, elle a eu presque un mois pour s’établir un nouveau quartier général dans mon bureau qui ne manque certainement pas de p’tits coins sympathoches pour villégiatures de petite arachnide en goguette.

    Bon, moi, j’suis pas contrariante. Si elle veut rester dans le carton de Noël, moi, je respecte. L’anecdote m’amuse même. C’est pas tout le monde qui établit ainsi un « contact » et se soumet sans discuter à la volonté, même imaginée, d’un petit être multi-pattes.
    Je fais gaffe en remisant les premières boites et je m’assure même de déposer en premier le sac tout souple des guirlandes. Mais après, toute affairée à décrocher et ranger délicatement… je l’oublie encore.
     
    Ca prend du temps de ranger soigneusement le bonheur pour qu’il puisse encore resservir quand reviendra son temps…

    Le carton est rempli.
    Le sapin, en trois morceaux disciplinés, aussi,  s’est résigné à resserrer ses branches et  à réintégrer son carton à lui.

    Avant de les redescendre et embrayant sur la première de mes bonnes résolutions 2013, je récupère le rouleau tout neuf du scotch de déménageur et entreprend de redonner une toute nouvelle solidité, étanchéité à la relique, malle à trésors tintinabulants ! C’est qu’il y a du déménagement prévu dans l’air du temps bluesien en 2013. Autant parer de suite aux méchantes bousculades, éventreuses de paquets mal-ficelés !

    Alors, j’y vas de bon cœur ! Je scotche et rescotche de tout mon cœur ! Je consolide les coins et redresse les affaissements, pose mes scellés rajeunisseurs partout, ne laissant de carton vierge que la place  de l'inscription :
    « Prière de faire attention, je suis le carton de Noël, quand-même ! »

    Je suis satisfaite !
    Plus une place pour la menace d’effondrement. Le carton brille de son nouveau carcan marron brillant. Le trésor est à l’abri !
    Mais d’un coup…. !
    En me repaissant de la vision de ce nouveau caisson étanche, me revient l’image du petit mouvement gracieux et rapide !!! Mince ! J’ai enfermé, emprisonné, calfeutré ma guerrière gardienne jusqu’à la mort, dans un cercueil définitif ! Je n’y ai même plus pensé !

    Alors……… et on pourra en penser ce qu’on veut… j’ai repris mes ciseaux ! J’ai recoupé les huit coins du carton et fait une fenêtre dans le O de NOEL !
    Pis après, guillerette, j’ai redescendu mes cartons au sous-sol.
    Sous la lucarne ! Là où se collent les moucherons imprudents, souvent.

    Vivement Noël prochain !

    Bonne année !

     


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  • Et si l'on ne pouvait même plus faire confiance à son reflet? ...

     

    Ou était-il?

    J'étais planté devant le miroir et j'attendais.
    Mon reflet avait encore disparu. Je collais le nez sur la surface lisse en essayant d'explorer tout l'espace jumeau de ma chambre qui lui, inversé certes, restait fidèle...
    Ca avait commencé, il y avait à peu près un an, par des lenteurs, des retards à répliquer mes gestes, mes mouvements. Comme de la mauvaise volonté.
    J'avais éclaté de rire la première fois que cette impression m'avait saisi, mais le malaise s'était insinué. j'avais fui la salle de bain et me coiffais sans vis à vis en découvrant l'atroce réalité de nouer ma cravate sans me voir le faire. Je faisais tout à l'envers!!!
    Les collègues devraient se passer, ce jour là, de l'image de la parfaite classe dans l'élégance.

    En rentrant le soir, j'évitais encore le face à face, m'installais dans mon fauteuil, me servis un verre. Voilà, c'est ce qu'il me fallait... Me détendre. Cette histoire de reflet paresseux n'était qu'une séquelle des soucis divers qui m'assaillaient de toute part, depuis trop longtemps.
    J'étais... stressé!
    Oui, c'était ça ! trop de stress, l'interdiction de se laisser aller, la corde raide permanente et la solitude. Mes nerfs étaient en pelote et mon seul interlocuteur valable n'était que ce reflet, et le pauvre me servait de bouc-émissaire.
    J'avalais l'alcool salvateur, décidais de m'en accorder une ration supplémentaire et me rendis à la salle de bain.
    J'étais là... Bien en face de moi! Le soulagement me fit éclater de rire! Brièvement... car mon reflet, lui, restait perplexe... Et quand,à cette constatation, je sentis mes traits se pétrifier d'horreur, il me sourit tristement... Puis, enfin... il consentit à harmoniser l'expression de son visage avec ce qui devait être la mienne : décomposée!

    Mais, je n'avais plus confiance. Les jours suivants, la toilette me devint une peine, puis une torture. Je ne le regardais plus en face. Peur de le surprendre regardant ailleurs! Je me mis à ralentir mes mouvements pour lui donner une chance de ne plus être en retard, de calquer les siens aux miens... Mais il semblait de plus en plus difficile à entraîner dans le délié de mes gestes. J'en vins presque à adopter des allures simplifiées d'automate et tout ça, toujours, en évitant son regard... La situation semblait pourtant s'équilibrer : je faisais des efforts, il semblait en faire, je m'en contentais me satisfaisant de ne pas augmenter la liste de mes tracas...

    Puis à nouveau, la coordination faiblit. Il semblait amorphe, déprimé... J'évitais toujours son regard. Mais un matin, contemplant à nouveau mon image pitoyable et décalée, j'osais croiser ses yeux. Je frissonnai... La détresse était tellement visible sur ce visage connu. La compassion m'envahit sans que je puisse lutter.
    Soudain, il me sourit! Et... je lui souris! Heureux de le voir s'éclairer un peu. Il leva un bras et ... je levai aussitôt le mien! Je lui devais bien ça... Je l'avais ignoré pendant des mois, l'obligeant à la fidélité quand je ne lui accordais pas, moi-même, le moindre regard...
    Quelle avait été sa souffrance? Vissé sur la mienne, j'avais délibérément refusé de chercher à comprendre la sienne...
    J'imitais ainsi, en continuant à sourire de son sourire, chacun de ses gestes hésitants, proposés... Et je ressentis une grande satisfaction de m'apercevoir que l'apprentissage se révélait plus aisé que je ne l'aurais imaginé. J'y parvenais même de mieux en mieux... Au bout de quelques jours, je réussis même à me raser de la main gauche quand mon reflet de plus en plus rasséréné... se trompa de main!
    Je ne lui en voulais pas. Il semblait retrouver une joie de vivre oubliée et la « réplique » de son sourire me devint machinale, automatique et tellement... gratifiante aussi. Son bonheur faisait plaisir à voir, à penser, à anticiper, à vivre...

    Je m'aperçus que les journées me semblaient longues en dehors de ces échanges... Je devenais maladroit... Il me semblait que chacun de mes gestes, en dehors de cette « réflexion » m' était pénible, vain, inexpliqué, inutile... comme s'il n'était pas... justifié!!! Le quotidien, en dehors de cette fusion de plus en plus profonde avec mon reflet, me devint d'abord inintéressant, puis pénible et enfin complètement insupportable!
    Mes seules respirations venaient des échappées que je m'autorisais devant le miroir des toilettes où, l'espace d'un instant, je volais des secondes de réconfort... L'effet était quasi-instantané : il me suffisait d'entrevoir l'image de l'assurance de plus en plus évidente que j'imprimais à mon reflet pour m'en sentir imprégné, complice, ...« responsable ».

    Cependant, devoir le quitter chaque matin, me devint insupportable. Je m'abîmais dans les profondeurs de l'angoisse à l'imaginer seul, abandonné, déçu peut-être...
    Je démissionnais de mon travail et l'enthousiasme avec lequel, je vins fusionner avec mon reflet ce soir-là me conforta dans le choix de mes priorités à venir. La coordination serait désormais parfaite...
    Son rétablissement était visible. Nos gestes étaient identiques, fluides. Je ne calculais plus, je savais ce qu'il voulait à l'exacte seconde où il le voulait et l'accomplissement du moindre battement de cil simultané me comblait d'aise . J'avais trouvé le « tempo », l'harmonie idéale pour qu'il se sente autonome, délivré... libéré? Il ne semblait même plus étonné.
    Nous passions des heures ensemble, non pas dans la contemplation mutuelle béate mais dans la présence consciente de l'autre. Je passais d'une pièce à l'autre de ma maison, désormais rassuré par la certitude de sentir la plus petite de ses volontés sans aucun retard et, satisfaction suprême, sans plus avoir, même, le besoin de l'anticiper...
    Je crois que je l'ai sauvé! Et cette quiétude partagée, même si elle m'isolait totalement du reste du monde, m'apporta une sensation d'utilité, d'aboutissement que j'avais perdue depuis fort longtemps, je crois.

    Puis, au fil des jours, il sembla moins « présent ». Nos rencontres étaient toujours, bien sûr, totalement fusionnelles mais elles semblaient désormais s'enliser dans la chappe de l'habitude. Nous procédions aux gestes quotidiens sans aucun décalage. Notre timing était parfait mais... nos regards se croisaient de moins en moins dans la surprise émerveillée de cette prouesse... Il semblait que ce fut devenu normal. Au moins pour lui... Je m'efforçais de gommer la moindre inquiétude de mes évolutions, tremblant de le voir retomber dans le gouffre de la déprime... Il fallait que je le préserve!
    Je m'en tenais au rôle parfait de réplique instantanée lors de nos face-à-face mais commençais à me poser des questions quand je ne le voyais plus... En fait, que faisait-il vraiment? Les doutes m'assaillirent. Je ne quittais plus la proximité des miroirs attendant, dans la fébrilité, la pulsion qui m'annoncerait son retour et la « convocation » libératrice.
    Mais ses absences se multiplièrent et nos rendez-vous, auxquels pourtant j'attachais un perfectionnisme irréprochable, ne semblaient plus aussi emplis de nécessité vitale. Un élément surtout me fit frémir : la conscience soudaine qu'il ne ME regardait plus! Oh, son regard croisait encore le mien de temps en temps, mais l'éclair si brillant de l'intérêt semblait s'amenuiser, petit à petit, au point de s'éteindre... Il ne me voyait plus, je crois...
    Je continue à copier ses gestes, j'y mets ma volonté, ma conviction, mon sens du devoir et le simple témoignage de mon... affection. Je dois tenir... le maintenir dans l'équilibre...

    Mais où est-il?
    Je ne sors plus de cette chambre que pour aller dans la salle de bain, tremblant de manquer son retour. Je vais tenir, résister au doute... Il le faut!
    Je me suis assis sur le lit. Je l'attends...
    Il faut que je sois prêt, en forme dès qu'il apparaîtra! Je ne sais plus depuis combien de temps je n'ai pas mangé... Mais je n'ai plus faim, plus besoin de faim. Je sens, sans bouger, mon corps assouvir des besoins en dehors de moi. Le goût de l'eau fraîche, l'odeur d'une cigarette, le frisson d'un contact... Tout ça remplit « ma » mémoire dès qu'il rentre. Et mon image lui renvoie encore instantanément le reflet de ses satisfactions...

    Encore?
    Je me sens un peu triste cependant, inquiet, fragile, moins important... je ne sais pas à quoi ça tient... Peut-être cette sensation bizarre qu'en dehors de cette pièce, le monde s'est effacé, n'a plus de consistance... et qu'il ne m'apparaîtra plus désormais que par la puissance de la présence de cet autre moi.
    Pourtant, avant, je vivais sans lui... Il me semble... Oui, je ne faisais même pas attention à lui... à peine... je crois... et j'étais droitier... non? Ce n'est pas cette main là que je levais naturellement... D'ailleurs, elle semble se lever moins bien...

    Fatigue? Mauvaise volonté?


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  • Elle regarda la porte qui se refermait au loin. Le rayon de lumière qu'elle autorisait encore -pour combien de temps?- tremblait en s'accrochant au mirage de poussière si fragilement visible. 

    Elle s'efforça de ne plus regarder dans cette direction. Si elle voulait essayer de s'en sortir, il fallait que ses yeux se soient exercés à l'obscurité avant qu'elle ne lui soit imposée. Et cette sortie là, toute lumineuse qu'elle lui apparût encore, tellement attractive, elle se devait désormais d'essayer de l'ignorer. 

    Les éboulis bloquaient définivement le passage, au-delà de cette porte, pour elle, elle le savait. Les planches frémissaient encore, quelquefois, au souffle venu de là-bas et la fraîcheur se frayait encore de minuscules passages malgré les rochers implacables mais, l'espoir d'une évasion de ce côté était vain et l'entretenir ne serait que mensonge morbide, une sorte d'invitation au suicide différé mais inexorable. 

    Elle s'était bien battue, pourtant, tant qu'elle y avait cru, tant elle y avait cru, à la possibilité de continuer, même par là. A la certitude de ne pas s'être trompée sur les révélations inattendues de l'existence du trésor et de l'évidence tracée d'un chemin à suivre. 

    Depuis quand était-elle seule?

    Il y avait eu une Révélation, lui semblait-il... Une autre présence.
    Et la route s'était ouverte, évidente, désormais tracée...  Comme si, ce monde perdu ailleurs, n'avait pu se matérialiser ici, que par cette collision improbable. 

    Premiers habitants d'un territoire vierge, ils y avaient planté dans le vertige solide d'une insouciance enfantine, les pavillons colorés de l'appropriation insolente et incontestable. 

    Et ils étaient arrivés à la montagne... 

    Lequel avait généré cet obstacle dans le décor... Diffus, encore, certes, mais visible? Incongru, déplacé, importun. 

    Ils étaient revenus sur la terre des Autres. La trouvant moins hospitalière, concrêtement hostile, jalouse. Mais ils avaient continué à avancer. Moins sûrs, plus hésitants, moins... seuls...

    Et ils étaient entrés sous la montagne, sentant son poids oppresser leur légèreté...

    Puis, elle était restée seule. Avait laissé, confiante, la lumière s'éloigner.

    Elle reviendrait, elle le savait. Les mains qui l'emmenait étaient aussi sûres que les siennes...

    ...

    Elle se réveilla au matin d'une nuit qui semblait avoir duré des années. Elle sourit. Encore un rêve, à la mords-moi-l'imagination. De l'or sur des nuages, la rencontre des dieux (ça c'était chouette!; ça, faudrait qu'elle se rappelle, elle pourrait en faire un conte, un jour)

    Elle s'ébroua! Comment pouvait-on, à ce point, s'éloigner des réalités. Crédule, funambule magiscule!

    RIDICULE!

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     


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  • Isatis, mon chat aux doux yeux bleus loucheurs est parti, ce matin, doucement, sous mes caresses...

    La dernière page de sa vie est écrite. Je dois refermer le livre de l'histoire partagée avec mon vagabond.

     
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    Elle avait commencé, il y a quinze ans... Un des deux châtons que nous avions adoptés en juillet de cette année-là, n'avait pas eu le temps de jauger les dangers de la campagne et avait péri sous les roues d'un des automobilistes si rares sur ma petite route de campagne perdue.

    Chopin, le rescapé se retrouvait seul et je décidais en fin d'année de lui redonner un frère. Noël, à la SPA, mi-décembre de cette année-là, m'offrait l'occasion de faire d'une pierre deux coups. Le beau geste et l'offre de la joie de la fraternité retrouvée pour le châton esseulé.

    C'est difficile de choisir parmi ces petites bêtes en attente et mon idée s'était déjà un peu pré-fabriquée sur l'image d'un chaton de gouttière lambda dont l' « adorabilité », j'en étais sûre me subjuguerait au premier coup d'oeil... Ils furent une vingtaine à me subjuguer!!!
    J'avais écarté d'office (les pauvres) les chats adultes et j'étais déterminée à écarter, parmi les petits, le malingre et le souffreteux d'apparence! Il ne me restait qu'à faire le choix parmi ces petites frimousses craquantes et pleines de vivacité, partageant par groupes de trois ou quatres des grandes caisses profondes,  ou si le bras humain pouvait plonger pour caresser , la hauteur interdisait l'évasion des apprentis félins. Une demie-douzaine de caisses...
    Et une au milieu. Avec un seul chaton. Plus vieux que les autres, mais encore un chaton, assis dans un coin, très digne et très... indifférent à l'agitation ambiante. Malingre (écarté donc!) au pelage un peu souillé de récentes déjections certainement incontrolées . Malade? (Écarté donc!)...

    Je crois que je suis passée deux fois devant lui sans qu'il lève la tête. La troisième fois, je me suis arrêtée.
    « On nous l'a amené ce matin, trouvé dans un container à ordures! On a essayé de le laver un peu. Mais il a l'air choqué, perdu »
    Je pense :
    « merci, Madame, mais pas la peine de te donner du mal. Je suis venue adopter un petit gaillard sans problème et plein de santé et je vais me le trouver »

    Il est étrange quand même ce chaton presque immobile, aux yeux fermés. Un siamois apparemment. Bizarre qu'on l'ait « jeté » quand même. Quand Madame s'est éloignée, je m'approche. Je tends la main juste pour voir s'il bouge un peu quand même. Juste pour voir.
    Au contact, il ouvre les yeux et là... je suis foutue! Il y aura du malingre et malade à la maison Marie, ce soir.
    Il louche. Terrible strabisme de deux billes bleues intenses. Un regard dont je ne sais même pas s'il me regarde... mais qui affirme.
    Alors, d'accord, petit gars, ça va être moi! Je ne sais pas encore trop pourquoi, mais c'est juste là une certitude. Une de ces certitudes bizarres, une sorte d'instinct primitif qui me dit que je suis pour toi sinon toi pour moi!

    Un vaccin obligatoire , un carnet véto sans nom et 100 frans plus tard, nous partions ensemble pour 15 ans de vie commune.

     


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    Quinze ans de respect de la liberté de l'autre, d'échanges de caresses sans excès, de fous rires et de râleries échangées... Car ce bâtard d'aristocrate (la roture annelée transparait à l'oeil excercé, sous le gris souris de la queue, uniquement, et explique sans doute l'abandon abject) est doté de la parole.
    Ses miaulements expriment à merveille ses sentiments et ce chat m'a clairement balancé aux oreilles  autant ses « bonjours » ses « je t'aime un peu, je crois », ses « ouiiiiiiiiiii, c'est bon quand tu me grattes, là », que ses « même pas mal, je t'emmerde, je me casse »...
    Quinze de vagabondage épicurien dans une campagne propice au déroulement d'une vie d'indépendance dans la sérénité. La chatière permettait les allées-venues au gré des désirs et l'alliance avec Chopin (et même Woody!!!) donnait une belle image d'acceptation des différences dans le respect (hiérarchisé) de l'intégrité de l'autre.

    Isatis aux couleurs de renard a été heureux vraiment, malgré deux frictions avec une voiture où il faillit laisser sa queue et abandonna un bout d'oreille, acceptant les soins et l'attention juste jusqu'où c'était indispensable.
    Isatis a été heureux sans causer d'embêtements majeurs pendant 15 ans... sans trop d'exigences insurmontables... La présence seule de l'autre et le bien qu'on en ressentait sans le dire ou le démontrer à l'excès suffisait à l'affection réciproque. Nous nous sommes aimés sans nous soumettre à l'obligation de preuves.

    Jusqu'à il y a huit jours.

    Il y a huit jours, il a demandé à rentrer en haut de l'escalier du sous-sol... En général, j'ouvre : « tu veux quoi, encore, sac à puce? » Je suis habituée au dépôt de cadeaux immondes : hirondelle, moineau, taupe, sauterelle, musaraigne... « tiens, c'est pour toi, moi, j'ai plus faim, j'en ai déjà bouffé trois » avant qu'il ne redescende très majestueusement les marches jusqu'à la panière, près de la chaudière...

    Là, pas de cadeau. Isatis est assis là, les yeux fermés, imobile,dans une position qui me rappelle avec une intensité bouleversante notre première rencontre. J'ai le même geste. Je veux le toucher pour voir, juste pour voir. Et il ouvre les yeux, qui louchent, bleus intenses. « Ce serait bien que tu sois là ».

    Et je sais, depuis ce jour, que mon chat va mourir. Qu'il est temps et qu'il le sait. Qu'il veut juste le faire avec moi mais aussi, j'en suis sûre que je n'en rajoute pas. C'est temps, c'est tout. Il a besoin de moi pour que ce soit bien aussi, la mort...

    Il n'est pas malade, il le dit aussi. Il ne souffre pas. Il est juste... fatigué, si fatigué. Il veut juste le bras de mon fauteuil là près du radiateur et dormir près de moi. Pendant quelques jours, il sautera encore tout seul pour venir s'allonger, là et descendra aussi pour les besoins et la gamelle. Puis il prendra l'habitude de poser sa tête sur mon ventre, le nez dans le vieux pull de Papa dont la douceur obstinée me tient chaud depuis treize ans déjà. Il ronronne un peu encore.
    « Tu vois, t'es con, tu vas pas mourir! T'es juste fatigué! Dors, mon bonhomme, dors »

    Et il dort, il dort de plus en plus et je suis obligée de lui amener l'eau et un peu de yaourt qu'il tête difficilement et je le porte sur la litière où il finit par se rendormir debout, la tête dodelinante et lourde, si lourde...
    Alors, je le ramène et il dort quand je vaque à mes habitudes :
    « ah, mais fais donc ce que tu as à faire, va courir, va te promener dans ta forêt, tout va bien, je dors. 
    Je dors et je t'attends »

    Quand je rentre et que je me pose enfin, il revient et repose sa tête à mon ventre. Il ne ronronne plus depuis la veille. Je le caresse doucement légèrement, doucement. Derrière les oreilles et sur le ventre.Et je me rassure au réflexe des pattes antérieures qui se mettent faiblement à se cadencer pour rythmer le bien-être. Comme avant... Il ressemble à ces porte-pyjama vides. Tout doux mais dont seule la tête pèse encore. « Demain, tu iras mieux, peut-être... »  Il ne répond pas, il dort...

    Demain, c'était ce matin... Je suis allée courir parce que depuis huit jours, je fais ce qu'il veut. Je vis normalement... je cours et je marche et je prends des photos. J'essaie même de parler à tout le monde de tout et de rien. Woody est gentil aussi. Plutôt calme, ces temps-ci. Je forumise aussi mais avec des gens que je ne connais pas... J'ai un peu de peine avec les gens que je connais. Je leur dirai... après.
    Avant de partir, je lui ai donné deux gouttes d'eau, trois caresses et l'ai couvert du vieux pull de Papa.
    Et je suis allée courir.
    C'était bien, même si j'ai l'impression qu'une écope serait nécessaire à mon coeur qui s'inonde. Bast, il sera bien temps... après...

    Il m'a attendu.
    La manche du pull était en travers de son cou, comme l'écharpe du Petit Prince que j'ai tant aimé.
    L'oeil bleu s'est ouvert juste pour etre sûr que j'étais revenue, je crois.
    Alors, j'ai su que c'était temps. Qu'il ne pourrait plus se réveiller quand il se rendormirait là. Alors, j'ai caressé mon petit Isatis doucement, doucement.
    « C'est bon, mon bonhomme, c'est bon, je suis là »
    La vie s'est échappée en trois dernières respirations laborieuses. La seule « défense » que j'ai observée pendant ces huit jours. L'ultime.
    J'ai refermé la petite bouche restée ouverte. Ca ne convenait pas à la douceur programmée. Il avait trop l'air d'être vraiment mort, mon bonhomme.
    Je l'ai enroulé dans le vieux pull et je l'ai pris contre moi, doucement, berçant, pleurant.
    Merde, j'avais le droit maintenant, non?

    J'ai enterré mon petit chat si doux dans mon vieux pull sous le tilleul, là où il faisait ses griffes, là où pousseront les primevères et les pissenlits au printemps prochain, là où Woody va lever la patte aussi, dès fois qu'on ne saurait pas que c'est SON arbre...

    Je pleure encore un peu sans raison, sur moi, je crois...
    Pour le vide, pour le manque...

    Parce que lui, mince...
    Il est mort comme il a vécu, mon Prince Bâtard, heureux!
    Et ça, c'est une lumière. 



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