• Marceline DESBORDES-VALMORE 

    Les séparés (N'écris pas...)

    N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
    J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
    Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
    N'écris pas !

    N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
    Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
    C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N'écris pas !

    N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
    Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
    Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N'écris pas !

    N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
    Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
    Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
    N'écris pas !


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  • Jean ferrat

     

     

    Je ne suis pas littérature
    Je ne suis pas photographie
    Ni décoration ni peinture
    Ni traité de philosophie

    Je ne suis pas ce qu'on murmure
    Aux enfants de la bourgeoisie
    Je ne suis pas saine lecture
    Ni sirupeuse poésie

    Je ne suis qu'un cri

    Non je n'ai rien de littéraire
    Je ne suis pas morceaux choisis
    Je serais plutôt le contraire
    De ce qu'on trouve en librairie

    Je ne suis pas livre ou bréviaire
    Ni baratin ni théorie
    Qu'on range entre deux dictionnaires
    Ou sur une table de nuit

    Je ne suis qu'un cri

    Je n'ai pas de fil à la patte
    Je ne viens pas d'une écurie
    Non je ne suis pas diplomate
    Je n'ai ni drapeau ni patrie

    Je ne suis pas rouge écarlate
    Ni bleu ni blanc ni cramoisi
    Je suis d'abord un cri pirate
    De ces cris-là qu'on interdit

    Je ne suis qu'un cri

    Je ne suis pas cri de plaisance
    Ni gueulante de comédie
    Le cri qu'on pousse en apparence
    Pour épater la compagnie

    Moi si j'ai rompu le silence
    C'est pour éviter l'asphyxie
    Oui je suis un cri de défense
    Un cri qu'on pousse à la folie

    Je ne suis qu'un cri

    Pardonnez si je vous dérange
    Je voudrais être un autre bruit
    Etre le cri de la mésange
    N'être qu'un simple gazouillis

    Tomber comme un flocon de neige
    Etre le doux bruit de la pluie
    Moi je suis un cri qu'on abrège
    Je suis la détresse infinie

    Je ne suis qu'un cri


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  • Louis Aragon

     

     

     

    Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
    J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
    S'y jeter à mourir tous les désespérés
    Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

    À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
    Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
    L'été taille la nue au tablier des anges
    Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

    Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
    Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
    Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
    Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

    Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
    Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
    Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
    L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

    Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
    Par où se reproduit le miracle des Rois
    Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
    Le manteau de Marie accroché dans la crèche

    Une bouche suffit au mois de Mai des mots
    Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
    Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
    Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

    L'enfant accaparé par les belles images
    Écarquille les siens moins démesurément
    Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
    On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

    Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
    Des insectes défont leurs amours violentes
    Je suis pris au filet des étoiles filantes
    Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

    ...

     

    Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
    Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
    Moi je voyais briller au-dessus de la mer
    Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa



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